« Duchamp frères et soeur » : on a employé ce terme pour désigner, comme s'il s'agissait d'une firme d'avant-garde, cette famille originale comprenant notamment les peintres Jacques Villon et Suzanne Duchamp, le sculpteur Raymond Duchamp-Villon et le maître de l'humour objectif, Marcel Duchamp. Après avoir étudié à l'Académie Julian, ce dernier peignit la plupart de ses tableaux entre 1911 et 1912, se livrant à diverses expériences, faisant « le tour de fa peinture en huit mois » ; ainsi une toile cubiste Les Joueurs d'échecs sera suivie d'une toile « méca-nomorphique », Moulin à café, puis d'une toile futuriste, Nu descendant un escalier. Il identifia l'acte de peindre à un exercice intellectuel. « La peinture ne doit pas être exclusivement visuelle ou rétinienne. Elle doit aussi intéresser la matière grise, notre appé-tit de compréhension », a-t-il dit. En quête de nou-velles possibilités d'expression, il inventa en 1914 le « ready-made », objet usuel détourné de son sens, plus tard la « machine optique », et se lança dans la composition d'un grand panneau de verre, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (1915-1923), qu'il prépara par des plans et des graphiques. En 1915, il partit pour les États-Unis, et devint membre du Comité des Indépendants de New York, dont il démissionna quand celui-ci refusa l'urinoir qu'il vou-lut exposer sous le titre de Fontaine (1917). En publiant des revues éphémères, The Blind Man, Rongwrong, New York Dada, il contribua à propager un super-dadaïsme, auquel il donna un style froid et altier. Il revint séjourner quelque temps en France, et assista à la naissance du surréalisme ; abandonnant défini-tivement la peinture en 1928, il se contenta de rédi-ger des jeux de mots attribués à Prose Sélavy, de créer des « Roto-reliefs », qu'il présenta au Concours Lépine de 1935, ainsi que des objets anti-utilitaires mettant la réalité au défi. Duchamp, quand il payait son dentiste avec un chèque démesuré qu'il avait dessiné lui-même, ou qu'il inventait une martingale pour faire sauter la banque de la roulette de Monte-Carlo, incarnait avec flegme l'art de vivre du surréa-lisme. Tous les surréalistes l'ont pris pour un arbitre suprême, un complice et un incitateur en nouveauté, dont ils admiraient la désinvolture et l'ironie. En 1937, il fit sa première exposition personnelle à l'Art Club de Chicago. De même qu'il avait publié ses textes de la Mariée dans la Boîte verte (1934), de même il réunit ses œuvres complètes dans un « musée por-tatif» en forme de valise, la Boîte-en-valise (1935- 1941) tirée à 300 exemplaires, et ses notes inédites de jeunesse dans une Boîte blanche (1966) intitulée À infinitif. Une salle entière lui est consacrée au Philadelphie Museum of Art. C'est là qu'on peut voir sa dernière création, Étant donnés : 7° La chute d'eau ; 2° Le gaz d'éclairage, qui est une porte de bois fermant une chambre. Si l'on en ôte deux clous, à hauteur des yeux, on aperçoit une femme nue ren-versée sur un tas de fagots, tenant un bec Auer allumé à la main. Est-ce la victime d'un viol, une raco-leuse ou une promeneuse ayant fait une chute ? À chacun de décider selon son état d'âme. La suprême leçon de Duchamp est la démonstration que la chose regardée n'a de sens qu'en fonction du regardeur.
Né en 1887 à Blainville-Crevon, mort en 1968 à Paris.
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