Ljuba était encore étudiant à l'Académie des beaux-arts de Belgrade quand il reçut le choc du surréalisme en voyant la collection du baron Urvater, exposée en 1959 dans cette ville. L'année suivante, il fonda avec de jeunes artistes le mouvement Mediala (signifiant « miel et dragon »), se donnant pour but d'exprimer le désir et la peur, en alternance ou simultanément. À l'automne 1963, il arriva à Paris avec ses cinq meilleurs tableaux roulés ; ils intéressèrent tout de suite René de Solier, qui venait de publier L'Art fantastique, et le galeriste Marcel Zerbip, qui lui organisa une exposi-tion en 1966 à la galerie Diderot. C'était le moment de la mort d'André Breton, que Ljuba avait rencon-tré une fois dans la galerie lolas, boulevard Saint-Germain, sans oser l'aborder tant le vieux lion lui avait paru imposant. Mais deux personnalités du surréa-lisme le prirent sous leur patronage, et montrèrent par leur soutien constant qu'il allait dans cette voie. D'abord, Patrick Waldberg, qui le fit participer en 1969 à l'exposition « Signes d'un renouveau surréaliste » chez lsy Brachot à Bruxelles ; et en 1970 à « Résonances surréalistes » chez Armand Zerbip (frère du précé-dent) à Paris. Ensuite, André Pieyre de Mandiargues qui, dans la préface de son exposition de vingt-cinq tableaux à la Galerie de Seine, en mai-juin 1970, dit : «Si Ljuba se rattache au surréalisme, ce qui, me semble-t-il, ne fait aucun doute, c'est surtout par l'intermé-diaire de Dalf... Cela noté, selon qu'il était juste de faire, je me hâte d'écrire que je ne vois nullement en Ljuba une sorte de disciple de DaU, et qu'entre eux les dif-férences sont aussi vives et aussi manifestes que les ressemblances. » La comparaison n'est pas évidente, en effet, Mandiargues la justifiant par « l'apparition des bustes féminins au premier plan, des chevelures ou des crinières en flammes, des "petites boîtes", des oeufs et d'autres éléments qui sont du domaine de Dalf ». Il n'y a guère de concordance que dans la science de la peinture, l'un et l'autre sachant allier en virtuoses le classicisme et le modernisme. Vivant désormais à Paris, avec l'appui fidèle de Thessa Herold et de sa galerie, passant ses vacances d'été sur une île de l'Adriatique, Ljuba s'est adonné inten-sément à la production de tableaux fantastiques, souvent de grand format, où apparaissent des androïdes, des mutants, des monstres, des femmes nues aussi inquiétantes que désirables, dans une atmosphère qui les enveloppe de particules colo-rées ou les font disparaître dans une déflagration lumineuse. On trouve dans sa peinture des architec-tures superbes et menaçantes, des forêts hantées par des présences terribles que l'on devine ou dont on voit les yeux briller parmi les feuilles, des lacs mystérieux, des montagnes inaccessibles, faisant penser par leur qualité formelle à Piranèse, Monsù Desiderio ou Bôcklin, mais ayant néanmoins une spécificité laissant reconnaître du premier coup d'oeil un Ljuba. Les démons foisonnent dans cet univers, à cause des souvenirs d'enfance du peintre, dont le grand-père maternel en Serbie fut un pope réputé pour ses exorcismes. Il y a aussi beaucoup de têtes de mort en ses toiles, rappels de la peinture baroque, et des effets d'anamorphoses empruntés à la pein-ture maniériste, car Ljuba est un parfait connaisseur des styles de la Renaissance. C'est aussi un esprit profond, imprégné de la philosophie pessimiste de Schopenhauer, et se plaisant en même temps à lire des romans de science-fiction. Toutes ces disposi-tions assurent l'originalité de sa démarche. On lui a consacré plusieurs livres, plusieurs films (dont L'Amour monstre de tous les temps, de Walerian Borowczyk en 1978, et Ljuba de Jean-Marie Drot en 1981), mais il a toujours continué à peindre avec l'ascétisme d'un moine du mont Athos. Ses expositions ne sont jamais banales : ainsi, en mai 2005, dans la galerie Abel Rambert rue des Beaux-Arts à Paris, il n'a exposé qu'un seul tableau, Le Rêve des fleurs vénéneuses (2,35 x 3 m), couvrant tout le mur du fond.

Ljubormir Popovic (Ljuba)

Né en 1934 à Tuzla, ex-Yougoslavie.


The Temptations, Afterwards, 1988-89