Zolman Locker, surnommé Zola par ses amis de l'uni-versité de Bucarest, où il fit pendant deux ans des études de chimie, adopta pour signer son premier texte à dix-sept ans un nom relevé dans la rubrique des décès d'un journal : celui de « Ghérasim Luca, archimandrite du mont Athos et linguiste émérite ». Son pseudonyme fut un objet trouvé comme les aimaient les surréalistes. En 1930, il participa à la fon-dation d'Alge (« Algues »), « revue dithyrambique », avec Perahim qui publia son portrait gravé dans le numéro 2, et il se déchaîna dans des poèmes placés sous le signe de « la révolution d'abord ». Son pam-phlet Mud (« Morves »), en février 1931, lui valut neuf jours de prison, ainsi qu'aux quatre autres rédac-teurs. Il publia deux récits de critique sociale et d'éro-tisme exacerbé, Roman d'amour (1933) et Fata Morgana (1937), avant de faire en 1939 un séjour à Paris, où Victor Brauner le présenta à André Breton. De retour à Bucarest en juin 1940, Ghérasim Luca écrivit son premier livre en français, Le Vampire passif (terminé le 18 novembre 1941), et prit l'initiative de fonder le groupe surréaliste roumain, en compa-gnie des poètes Gellu Naum et Virgil Teodorescu, du médecin Paul Paun et du docteur en droit Dolfi Trost. Ce groupe, qui avait pour mot d'ordre : « la connaissance par la méconnaissance », poussa la non-littérature et le non-art jusqu'au paroxysme. Ghérasim Luca et Trost, dans Dialectique de la dialectique (1945), « message adressé au mouvement surréaliste international », proclamèrent la nécessité de détruire l'esthétique par des procédés nouveaux. Ils firent tous deux une exposition à Bucarest, du 7 au 28 janvier 1945, « Présentation de graphies colo-rées, de cubomanies et d'objets », pour les révéler. C'est là que Ghérasim Luca montra ses premières cubomanies, collages d'un genre inédit qu'il compo-sait en découpant des illustrations en carrés de 6 x 6 cm, et en réunissant ensuite ceux-ci comme un puzzle, au gré de son caprice ou du hasard. Il affirma : « La cubomanie nie. La cubomanie rend le connu méconnaissable. » En 1946, tandis que Trost publiait Le Profil navigable, « négation concrète de la pein-ture », avec quatorze illustrations, Ghérasim Luca fit paraître Les Orgies des quanta, recueil de trente-trois cubomanies ayant pour légendes des phrases poétiques égarantes. Ghérasim Luca considérait ses cubomanies et ses objets comme des extériorisa-tions de son inconscient. À propos de son objet Fétiche Déline, il déclara qu'il se voyait enfin tel qu'il était à l'intérieur : « J'ai toujours eu l'impression d'être pensé, comme Lautréamont et Rimbaud, mais jamais il ne m'est arrivé que cet autre qui me pense sorte de moi-même et paraisse devant moi d'une façon concrète et sensible comme tout autre objet extérieur. »
Quand Ghérasim Luca vint s'installer à Paris en 1952, il y devint peu à peu une figure extraordinaire de l'avant-garde poétique, avec ses recueils Héros-limite, L'Extrême-Occidentale, Apostroph Apocalypse, Le Chant de la carpe, Théâtre de bouche, La proie s'ombre, et ses récitals dans des lieux publics. Il ne cessa jamais cependant d'accompagner ses créa-tions verbales d'expérimentations plastiques. Il réa-lisa de remarquables cubomanies en couleurs qu'il exposa dans une galerie de la rue de Seine, et en réunit d'autres dans Maison d'yeux. Il illustra de ses dessins Le Tourbillon qui repose (1973), d'une eau-forte et d'une cubomanie Paralipomènes (1974). Il s'était constitué un portfolio de ses oeuvres gra-phiques sous le titre de Crier taire sourire fou.
À la fin de sa vie, il se mit à faire des dessins minu-tieux formés de points, fins ou gros, en y passant des heures comme si c'étaient des exercices ascé-tiques. Il dédicaçait même parfois un de ses livres à un ami par une spirale de points au crayon. Ces « hiéroglyphes du silence » sont particulièrement impressionnants dans son livre posthume, La voici la voie silanxieuse (José Corti,1996), où ils semblent des pratiques de la Kabbale opérative. Ghérasim Luca s'est suicidé à quatre-vingt-un ans en se jetant dans la Seine le 9 février 1994, et depuis lors, il est admiré comme une étoile de première grandeur de la poésie moderne. Ses Dessins et Cubo-manies ont fait l'objet d'une exposition au Centre international de poésie de Marseille en juin 1991. Sa rétrospective au musée de l'Abbaye de Sainte-Croix aux Sables-d'Olonne, de décembre 2007 à mars 2008, a comporté un catalogue décrivant cet aspect de sa personnalité.
Né en 1913 à Bucarest, mort en 1994 à Paris.
Untitled, Collage, n.d.
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